Pour la plupart d’entre nous, les termes « Silk Road » ou « Route de la soie » rappellent les récits de Marco Polo et sentent l’exotisme. Cette conception est à mille lieues de l’actualité informatique qui résulte de la fermeture du site «The Silk Road», célèbre plateforme d’échange subversive et anonyme, et de l’arrestation du leader supposé Ross William Ulbricht par le FBI.
Ulbricht (ou Dread Pirate Roberts sur la toile) était à la tête de « Silk Road », site d’échange dont le fonctionnement rappelle Amazon.com, mais opérant dans l’anonymat du web profond ou web invisible. Cette partie du web, accessible en ligne, est non-indexée par les moteurs de recherches usuels. Les réseaux d’anonymisation tels que Tor, Freenet ou IP2 permettent d’y opérer sans encourir de détection.
Depuis son lancement en 2011, le site a enregistré une activité chiffrée à 15 millions de dollars par année. Toutes les transactions sont opérées en bitcoins, monnaie virtuelle et cybercriptée assurant l’anonymat de l’acheteur. Malgré un taux de change très volatile, le chiffre d’affaire de « Silk Road » s’élèvait à 9,5 millions de bitcoins, soit plus d’un milliard de dollars.
Soixante-dix pourcents des marchandises en vente sur « Silk Road » concernaient des drogues plus ou moins dures. Les trente pourcents restant étaient partagés entre armes, pornographie enfantine, une multitude d’objets volés et de services variés. Facile donc de comprendre l’intérêt du FBI envers Ross Ulbricht, dont le site contribuait massivement au trafic international de marchandises illégales.
Néanmoins, la fermeture de « Silk Road » affecte la société à différents niveaux: les usagers de la plateforme sont inquiets pour leurs bitcoins perdus et pour la conservation de leur anonymat.
Ce marasme dans le marché du bitcoin a aussi une influence sur la monnaie et sur son taux de change. Or, la fin d’une association prolongée avec le marché noir permettrait à la cybermonnaie de recouvrir une légitimité et notamment à travers la Bitcoin Foundation, organisation sans but lucratif, qui jouerait alors le rôle d’autorité centrale. Il est question d’une démarche de rebranding de la monnaie virtuelle qui pourrait alors se démarquer de l’image frauduleuse de « Silk Road ».
La clôture du site a aussi créé un vide dans le trafic international. L’aspect pratique et la distance procurées par l’usage du web profond ne sont pas prêts de disparaître et d’autres sites apparaissent déjà en tant que successeurs à « Silk Road ».
Black Market Reloaded, Sheep Marketplace, ou Deepbay sont autant d’alternatives fonctionnant grâce à Tor qui pratique des transactions en bitcoins. Avec cette arrestation, le FBI accède à une nouvelle expertise sur le chiffrement et sur les bitcoins. Il est tout de même intéressant de relever que cette arrestation est le fruit d’une erreur humaine et non pas d’une faille technologique: un courriel envoyé depuis une adresse personnelle est à l’origine de l’arrestation d’Ubright.
L’attention médiatique sur une pratique intrinsèquement anonyme et secrète pose plusieurs interrogations: qui dans le grand public se doutait de l’ampleur des activités commerciales illégales Thse déroulant sur internet? Comment un outil si familier et banal reste-il aussi obscur pour la majorité des utilisateurs?
Les révélations sur la quantité de trafic se déroulant désormais en ligne soulève aussi d’autres problèmes. Indépendamment de la nature irréversible de pratiques telles que sur « Silk Road », certains argumentent que la distance inhérente aux échanges en ligne diminue le taux de violence lié, par exemple, au trafic de la drogue.
Il est légitime de se demander si la fermeture de tels lieux de vente ne pourrait causer une recrudescence de violences urbaines, avec sa portion de victimes innocentes. C’est notamment l’opinion du journal The Atlantic, dont l’article présente les avantages d’un trafic de drogue légalisé et contrôlé.
Considéré par certains comme anecdotique, l’arrestation de Ross Ulbricht et la fermeture de « Silk Road » remettent en question notre compréhension d’internet et des enjeux d’un commerce à distance, anonyme et crypté, dont la croissance semble inévitable.
- Catherine Ador
(Image à la une: Steve Rhode, Flickr, Creative Commons)
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