Delphine Batho, la ministre française de l’écologie, a qualifié le budget gouvernemental 2014 de “mauvais” le 2 juillet dernier. Le jour même, le président François Hollande confiait à son Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la tâche de la renvoyer. Une décision expéditive désapprouvée par une majorité de Français selon un sondage Harris Interactive publié le lendemain de l’évènement. L’affaire Batho révèle en effet une réalité politique pour le moins polémique.
Une solidarité mise à mal
Dans un communiqué de presse du 4 juillet, Matignon a confirmé que le limogeage de Delphine Batho était la directe conséquence de ses propos jugés déplacés et inacceptables pour un ministre de la République. Doit-on alors comprendre qu’en France, un ministre ne peut critiquer publiquement une politique gouvernementale?
Il ne faut oublier que la Ve République a été instaurée pour palier les problèmes d’instabilité des précédentes républiques. Une majorité forte et soudée est ainsi nécessaire pour gouverner de manière efficace. En 1983, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche et de l’Industrie, avait lancé cette formule choc: “ Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne.” Une déclaration que l’on se rappelle encore. A croire que Delphine Batho, elle, ne s’en souvenait pas.
Interviewé sur France 2 en mars dernier, François Hollande avait pourtant averti les membres du gouvernement Ayrault: “Aucun ministre ne peut remettre en cause la politique qui est conduite ». Le Chef de l’Etat a en effet besoin de conduire un bloc uni pour mener à bien son programme de redressement économique, et regagner ainsi la confiance des Français.
Or, les propos de l’ancienne ministre de l’écologie ont mis à mal cette solidarité gouvernementale. Dans un climat de forte impopularité, il semblait donc nécessaire que le chef du gouvernement s’impose et fasse preuve d’autorité.
Cela justifie-t-il pour autant une telle décision précipitée?
Au-delà du manque de solidarité dont fait preuve Delphine Batho, ses propos mettent en lumière le désaccord d’une partie du gouvernement, mais aussi de personnalités politiques socialistes vis-à-vis de la ligne politique suivie par le Président et son Premier ministre.
Victime de la réalité de la vie politique (?)
Mme Batho n’est pas le premier membre de ce gouvernement à avoir fait l’objet d’un recadrage. En 2012, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, avait été “recadré” par le Premier ministre après avoir déclaré que le nucléaire était “une énergie d’avenir“. A l’époque, il n’a pour autant nullement été question d’un quelconque limogeage à son encontre. Cependant, une fois n’est pas coutume: l’ex-ministre de l’écologie est bien la première à avoir osé critiquer publiquement le budget du gouvernement.
Par ailleurs, lors de la conférence de presse du 4 juillet, Delphine Batho n’a pas hésité à rendre responsable de son départ “les lobbys du gaz de schiste”, en declarant que “certaines forces économiques n’acceptaient pas le niveau d’ambition que [je] fixais pour la transition énergétique ».
Certains responsables du parti écologiste affirment en effet que la raison principale de l’éviction de Delphine Batho tient à la manière dont elle a géré le débat en cours sur la transition énergétique, et surtout, à sa position sur des dossiers comme le nucléaire ou le gaz de schiste. Pour rappel, l’extraction de ce gaz vise à récuperer du méthane, emprisonné dans la roche à 3 000 mètres de profondeur, en ayant recours à la fracturation hydraulique. Il faut savoir que cette technique est strictement interdite en France depuis le vote de la Loi Jacob en 2011.
En outre, Delphine Batho a affirmé que le gouvernement avait « cédé à des groupes de pression ». L’ancienne porte parole de campagne du candidat Hollande rapporte en effet que Philippe Crouzet, président du directoire de Vallourec, un leader mondial dans la fabrication de tubes en acier, aurait dès le 11 juin annoncé à son encadrement l’éviction prochaine de la ministre. A cela s’ajoute un détail qui pourrait ne pas en être un: la femme de Philippe Crouzet est l’actuelle directrice de cabinet de François Hollande. Ce conflit d’intérêt permet-il de conclure que Mme Batho a été victime d’un complot politico-économique?
Car, en effet, si Jean-Marc Ayrault a une fois de plus précisé la position du gouvernement sur le gaz de schiste cette semaine, une relation si proche entre un groupe tel que Vallourec, dont l’intérêt serait de voir la fracturation hydraulique autorisée en France, et l’éxecutif politique, est douteuse.
Crier au complot à l’heure actuelle manque toutefois de pertinence. Après tout, le fait que la femme du président du groupe Vallourec soit également directrice du cabinet de François Hollande pourrait s’avérer une simple coïncidence. Cette affaire rappelle que hypocrisie et politique font bon ménage. Les gouvernants tentent de créer l’illusion d’un groupe uni et soudé en évinçant tout élément perturbateur. C’est l’éternelle question de la morale en politique.
- Anissa Saudemont
(Image à la une: Richard Ying, Flickr, Creative Commons)
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